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Rencontre avec Olsen Jean-Julien, diplômé: Reconstruire son identité après une catastrophe


Olsen Jean-Julien a une maîtrise en aménagement, option montage et gestion de projets d’aménagement et poursuit actuellement des recherches doctorales en histoire de l’art et muséologie à l’UdeM. Il étudie particulièrement l’interprétation et la mise en exposition de la révolution haïtienne de 1804 en tant que phénomènes de rupture.

Ingénieur-architecte, il a travaillé pour des centres de recherche à l’UdeM, à l’Université Columbia (New York) et à la Smithsonian Institution. Il a été ministre de la Culture et de la Communication d’Haïti en 2008 et 2009. Après le séisme de 2010, il y a géré le projet de sauvetage des biens culturels, réalisé dans le cadre d’un partenariat entre le Gouvernement haïtien et la Smithsonian Institution. 

Il vient tout juste d’en terminer un autre d’importance avec la participation des communautés locales, à la suite du séisme du 14 août 2021 qui a détruit une partie du sud du pays1. Celui-ci a été clôturé avec une exposition itinérante sur le rituel Rara2

Pourquoi vous êtes-vous intéressé au patrimoine culturel?

Né au centre historique de Port-au-Prince, je suis allé au Lycée Alexandre-Pétion, une école créée en 1816, dans ce qu’on surnomme le berceau de Port-au-Prince, un quartier appelé Bel-Air. Le bâtiment dans lequel j’ai étudié a été construit en 1906. J’habitais à 3 rues de là et, entre ma maison et l’école, il y avait 2 cathédrales, notamment une très ancienne construite en 1771, exactement 200 ans avant ma naissance.

Je me souviens encore de ses énormes escaliers sur lesquels j’avais l’habitude de jouer en allant et en revenant de l’école. C’était mon quartier. Ces 3 bâtiments historiques ont fait partie de mon enfance : belle architecture, lieux sacrés et de culture, et beaucoup de plaisir.

En 1991, j’étais sur le point d’entrer à l’école d’ingénierie lorsque l’ancienne cathédrale a été détruite, à la suite d’un incendie criminel. Je crois que cet événement m’a beaucoup fait réfléchir à mon choix d’études. Je voulais aider à sauver ces traces de l’histoire et de la culture haïtiennes.

Après mes études en génie-architecture à l’Université d’État d’Haïti, j’ai effectué une maîtrise en préservation du patrimoine bâti à l’Université nationale Pedro Henriquez Ureña (République dominicaine), en 2001. J’étais boursier du Fonds européen de développement dans un programme caribéen de niveau universitaire.

J’ai eu l’occasion d’étudier dans le centre historique de Santo Domingo avec des collègues originaires de la communauté caribéenne, qui venaient d’Haïti, de la Barbade, de la Jamaïque, de Sainte-Lucie, de Saint-Vincent-et-les-Grenadines, de Suriname et de Trinité-et-Tobago. Il y avait aussi plusieurs étudiantes et étudiants dominicains. Ce programme très riche avait l’ambition de tisser des liens durables entre les professionnelles et professionnels du patrimoine de la Caraïbe. Je continue d’ailleurs à collaborer avec certaines et certains de ces collègues.

Après cela, j’ai obtenu une bourse pour une formation spéciale à l’Université Columbia. Je me suis concentré sur la documentation et la conservation d’édifices historiques et de sites archéologiques en utilisant les nouvelles technologies de l’information et des communications. On était alors en 2004, et j’ai commencé à travailler pour la Smithsonian Institution en tant que coordonnateur du Smithsonian Folklife Festival. Cet événement annuel se déroulant au National Mall de Washington DC juxtapose la culture d’un pays invité à celle d’une communauté américaine locale dans un magnifique dialogue interculturel.

Cette année-là, la Smithsonian Institution avait participé à la célébration du bicentenaire de la Révolution haïtienne en accueillant ce pays au festival. Le concept de ce dernier consistait à concevoir un village haïtien afin de montrer comment la liberté acquise en 1804 avait donné naissance à une explosion de créativité observable sur tout le territoire haïtien, de la montagne à la mer. C’était ma 1re expérience avec l’organisation. L’événement était très réussi, avec la collaboration de plusieurs artisanes et artisans, danseuses et danseurs, musiciennes et musiciens, peintres, sculptrices et sculpteurs, galeristes, architectes ainsi qu’historiennes et historiens haïtiens. 

Lors de cette immense expérience d’apprentissage, j’ai mieux compris pourquoi, au-delà des différences réelles et de l’idéologie politique, la culture représentait quelque chose qui avait la possibilité d’unir les Haïtiennes et Haïtiens. On pouvait avoir des idées divergentes sur la situation de ce pays, mais on s’entendait toutes et tous sur un point crucial : si une chose devait être sauvée et protégée, c’était bien la culture haïtienne. Ceci nous aiderait à surmonter les constantes crises politiques et à construire une sorte de compréhension entre les Haïtiennes et Haïtiens sur qui ils sont. 

Nous avons vu dans les médias récemment la catastrophe en Turquie et en Syrie qui nous rappelle malheureusement le séisme de 2010 en Haïti, où vous avez géré des projets de sauvetage de biens culturels. Pouvez-vous nous en parler?

En 2005, je me suis engagé dans la politique en Haïti. J’ai fini par être ministre de la Culture en 2008 et 2009. J’ai quitté cette fonction 2 mois avant le tremblement de terre, soit en novembre 2009. Quand celui-ci s’est produit le 12 janvier 2010, il y a eu une réponse internationale majeure et assez diversifiée. Il y avait de grandes organisations bien financées avec l’expertise pour travailler sur ce type de situation sur le terrain. Que ce soit pour enlever les décombres, amener un bateau-hôpital, transporter de la nourriture et de l’eau par hélicoptère d’un endroit à un autre parce que des routes avaient été coupées, etc., ce réseau international s’est montré déterminant pour les gros travaux. 

De mon côté, j’ai surtout travaillé avec l’énorme et important réseau local de solidarité, lié à la diaspora haïtienne. En Haïti, le noyau familial n’inclut pas seulement le père, la mère et les enfants, mais aussi les oncles, tantes, cousines et cousins, grands-parents, arrière-grands-parents. Cette famille élargie y a une signification différente. Elle porte beaucoup de poids émotionnel et constitue un facteur considérable de solidarité.

Ainsi, lorsque les gens venaient voir ce qui était arrivé à leurs parents et à leur fratrie, ils prenaient également soin de cette famille élargie. C’est devenu une tâche primordiale pour la diaspora haïtienne, celle d’aider. Il y avait différents fonds, l’organisation de plusieurs actions à petite échelle de même que la distribution de nourriture et de médicaments. J’ai été témoin de ce réseau de solidarité et je me rendais utile autant que je le pouvais. On pense généralement au pays comme étant les personnes résidant à l’intérieur du territoire, mais dans une situation comme celle-ci, on comprend que la population haïtienne est bien plus que les gens qui vivent dans les 27 000 km2 d’Haïti. C’est un immense réseau de ressources s’étalant sur plusieurs continents.

Le tremblement de terre a détruit et endommagé des musées, églises, galeries, bibliothèques et archives contenant de précieux artefacts, des œuvres d’art, monuments et livres rares d’Haïti. Très tôt, il y a aussi eu des groupes d’Haïtiennes et d’Haïtiens qui ont tenté de sauver des œuvres d’art et des fragments de patrimoine immobilier. Une maison s’effondrait et, s’il y avait une collection privée de publications à l’intérieur, certaines personnes allaient les rescaper. Beaucoup de mes amies et amis y participaient, mais pas moi, au début. Ce n’est qu’en mars 2010 que les échanges avec la Smithsonian Institution ont été entamés et, 2 mois plus tard, nous avons démarré le « Haïti Cultural Recovery Project3 » et j’ai commencé à m’impliquer dans la récupération de biens culturels. 

Plusieurs gens avaient déjà communiqué avec moi après le tremblement de terre pour que je puisse les soutenir dans différentes situations et les mettre en contact avec les ressources appropriées, notamment les membres de la Smithsonian Institution, qui avaient la volonté de chercher des moyens, alors que nous avions les capacités humaines sur le terrain pour les accueillir. 

Venue en Haïti, une de ses équipes m’avait dit : « Nous voulons faire quelque chose pour aider. » Je les connaissais bien puisque nous avions collaboré ensemble lors du Folklife Smithsonian Festival, en 2004. J’étais peut-être la bonne personne, au bon endroit et au bon moment pour appuyer le projet parce que, si je n’étais pas retourné en Haïti, ce serait complètement différent. Le simple fait d’être ministre a aussi facilité le tout.

Aujourd’hui, le travail se poursuit dans une nouvelle installation de conservation permanente située à l’Université Quisqueya de Port-au-Prince. Des étudiantes et étudiants, professionnelles et professionnels haïtiens peuvent apprendre les techniques de conservation et continuer ce travail afin de préserver leur propre patrimoine culturel.

Quel conseil donneriez-vous à des personnes commençant des études en aménagement?

Ma maîtrise en aménagement, option montage et gestion de projets d’aménagement à l’UdeM m’a permis de connecter tous mes champs d’intérêt : le patrimoine culturel, l’environnement bâti, la gestion de projets et la recherche. La Faculté de l’aménagement à l’UdeM est un carrefour holistique où les sciences de la construction, du design et de la gestion recherchent des applications au service du bien-être humain. Ce programme a facilité mon insertion dans la société canadienne, tout en conservant mon attachement à Haïti.

J’ai tout de suite utilisé les compétences acquises en participant à des recherches sur le projet du Quartier international de Montréal, sous la direction de l’architecte Clément Demers. Un peu plus tard, j’ai dirigé des études d’impact pour des projets d’aménagement réalisés en Haïti et collaboré avec Architecture sans frontières Québec dans un programme de recherche sur l’architecture et l’itinérance.  

Ainsi, le conseil que je donnerais me paraît très simple : gardez votre imagination ouverte sur le potentiel infini d’applications pratiques réalisables avec les compétences acquises à la Faculté de l’aménagement. Il y a beaucoup de savoirs disponibles, mais c’est la capacité de l’équipe de la faculté de stimuler l’imagination qui m’a le plus marqué. En ce sens, j’y ai vraiment compris la signification de cette pensée d’Albert Einstein qui nous dit que « l’imagination est plus importante que la connaissance ».


1  CULTURAL EMERGENCY RESPONSE (CER). « Local Community Rescues Haitian Heritage Affected by Earthquake », [En ligne]. [www.culturalemergency.org] (Consulté le 11 avril 2023).

2  Rara, tradisyon envante ak rityèl ki soti nan Revolisyon Ayisyen an. Yon ekspozisyon kap pwomennen., [Vidéo en ligne], 2023. Repérée au www.youtube.com/watch?v=PFFUGsLZlw8.

3  SMITHSONIAN INSTITUTION. « Haïti Cultural Recovery Project – Cultural Recovery Center », [En ligne]. [https://haiti.si.edu] (Consulté le 11 avril 2023).