Forte d’un baccalauréat en architecture (2008) et d’une maîtrise en aménagement (2011), tous 2 obtenus à l’Université de Montréal (UdeM), Alexandra Lemarcis s’occupe aujourd’hui de la conservation du patrimoine d’Hydro-Québec, qui est propriétaire de nombreux actifs mobiliers et immobiliers sur l’ensemble du territoire du Québec, qui témoignent à la fois de l’évolution des technologies, du territoire et de l’histoire de la société québécoise.
« À Hydro-Québec, on a une directive sur le patrimoine depuis 1999, indique la conseillère en recherche scientifique – patrimoine à la Direction de la conformité et du développement durable de la société d’État. Celle-ci vise à identifier, protéger et mettre en valeur le patrimoine à la fois bâti, technologique et intangible. »
Elle ajoute : « Mon rôle actuellement est de m’assurer de l’application de cette directive et de la mettre à jour. Je travaille à la reconnaissance de notre patrimoine et veille à sensibiliser les divers intervenants à l’importance de le protéger et de le valoriser. J’ai également une vue d’ensemble sur notre patrimoine et, au besoin, je fais remonter les enjeux à la haute direction. »
Depuis le début des années 1980, Hydro-Québec a entrepris l’inventaire de son patrimoine et s’assure d’avoir une expertise interne dans ce domaine pour le protéger. Le patrimoine bâti, c’est une centrale électrique, un barrage, un bâtiment administratif ou encore industriel tel qu’un poste de transformation.
« Le siège social à Montréal s’est par exemple vu attribuer une “valeur exceptionnelle” à l’interne, relate Alexandra Lemarcis. Il est par ailleurs inventorié par la Ville. L’enseigne de ce même siège social fait partie des enseignes à valeur patrimoniale de l’arrondissement de Ville-Marie. »
Le patrimoine technologique comprend quant à lui des équipements de production, de transport et de distribution d’électricité. On parle, entre autres, de compteurs électriques, de roues de turbines ou de conducteurs de ligne de transport.
Hydro-Québec possède une collection historique qui compte aujourd’hui plus de 4 500 objets représentatifs des activités de l’entreprise et qu’Alexandra Lemarcis est chargée d’enrichir, de conserver et de mettre en valeur. Quant au patrimoine intangible, il regroupe à la fois des savoir-faire du passé et des témoignages sur l’évolution des métiers et des activités de l’entreprise.
Le patrimoine de tous les Québécois et Québécoises
Depuis 20 ans, le géant québécois de l’électricité a ainsi développé une méthode interne pour l’attribution d’une valeur patrimoniale à ses installations, bâtiments et équipements. Les conseillers et conseillères évaluent les valeurs culturelles, historiques, de témoignage, sociales, pédagogiques et esthétiques, de même que les états d’authenticité et de conservation.
« À part quelques installations, telles que la Centrale de Beauharnois qui est un lieu historique national, Hydro-Québec possède peu d’actifs reconnus par Parcs Canada ou par la Loi sur le patrimoine culturel, explique Mme Lemarcis. L’idée n’est pas forcément de travailler à l’attribution de statuts de reconnaissance et de protection pour nos installations puisque notre devoir 1er est de produire et de transmettre l’électricité. »
« En revanche, on leur accorde une valeur – exceptionnelle, très élevée, élevée, moyenne, faible –, en fonction de laquelle nous produisons des avis patrimoniaux pour guider les interventions. Hydro-Québec est une société d’État, nous nous devons d’être exemplaires. Ce patrimoine ne nous appartient pas, il appartient à tous les Québécois et Québécoises. Nous avons une responsabilité sociale de le préserver. »
Un sentiment d’accomplissement
Alexandra Lemarcis se souvient avoir voulu faire des études en architecture dès le secondaire, mais que c’est au baccalauréat, lorsqu’une professeure lui a parlé de la protection du patrimoine de La Havane, qu’elle a véritablement trouvé sa voie.
« Pourquoi construire encore et encore lorsque l’on peut protéger et prolonger la durée de vie », fait-elle valoir. C’est ainsi qu’elle a bifurqué vers la maîtrise en aménagement. « Je me suis tout de suite rendu compte que j’avais plus de satisfaction à intervenir sur un bâtiment existant afin de l’amener plus loin, avoue-t-elle. Ça rencontre plus mes valeurs. »
De son passage à l’UdeM, elle se souvient surtout de la camaraderie et du sentiment d’accomplissement quand un projet est présenté et apprécié.
« À la maîtrise, j’ai vraiment eu beaucoup de chance parce qu’en 2008 le Comité du patrimoine mondial de l’UNESCO se réunissait justement à Québec, raconte-t-elle. Notre cohorte a pu y participer et cela a été un événement marquant. Voir tous les acteurs et actrices qui œuvraient à la protection du patrimoine et qui avaient des discussions sur le sujet... »
« Les tables rondes organisées par la Chaire de recherche du Canada en patrimoine bâti étaient aussi très stimulantes, renchérit-elle. Puis, l’UdeM m’a permis de travailler en tant qu’auxiliaire de recherche. C’est là que j’ai découvert le patrimoine industriel d’Hydro-Québec, parce que j’ai eu un 1er mandat avec eux via la Chaire. » Elle raconte avoir eu à l’époque un véritable coup de cœur pour un actif immobilier.
« C’est aujourd’hui encore mon petit bébé, confie-t-elle. Il s’agit du bâtiment de protection du poste de Trois-Rivières. Il date de la Shawinigan Water and Power Company, l’une des compagnies pionnières. Il est de style architectural Streamline Moderne. C’est vraiment un beau bâtiment de maçonnerie avec des détails particuliers. C’est très intéressant. »
Avant d’entrer en poste à Hydro-Québec en 2017, Alexandra Lemarcis a été notamment consultante quelques années pour la société d’État, a fait des passages dans des firmes d’architecture et occupé un rôle temporaire à la Ville de Montréal, où elle a pu accompagner et soutenir les activités du Conseil du patrimoine et du Comité Jacques-Viger. Elle affirme que son emploi actuel rejoint véritablement ses valeurs, d’autant plus que, depuis 2020, elle est rattachée à l’équipe du développement durable.
« Alors que l’on parle beaucoup de lutte aux changements climatiques, il faut bien prendre conscience que le bâtiment le plus durable qui soit, c’est celui qui est déjà existant, insiste-t-elle. Je regrette que l’on ait trop souvent une lecture budgétaire du patrimoine, une vision à court terme. Or, il y a des retombées économiques, environnementales et sociales à sa préservation. Quand on pense à l’aspect économique, on pense aux retombées touristiques d’une part. Puis, sur le plan local, les gens préfèrent habiter dans des endroits agréables où il fait bon vivre, et sont donc prêt à débourser davantage. Or, le patrimoine améliore le cadre de vie. D’un point de vue environnemental, 40% de nos GES proviennent du domaine de la construction. Quand on réhabilite un actif, on évite une nouvelle construction. On diminue ainsi l’extraction des ressources premières, leurs transformations, leurs transports et également les résidus générés par la démolition. Le domaine de la construction représente 29% des déchets au Québec, soit près 1,61 millions de tonnes de déchets par année selon RECYC-Québec. Nous avons donc tout intérêt à bien réfléchir à la gestion de nos actifs patrimoniaux. De surcroît, n’oublions pas l’aspect identitaire du patrimoine pour la société. Plus on perd de bâtiments, moins on a de témoins de notre histoire et de notre identité. »
Elle invite ainsi la population à se mobiliser, qui plus est les étudiants et étudiantes en aménagement, en s’investissant notamment dans les différents organismes qui œuvrent à la préservation du patrimoine.
« Si c’était à refaire, je le ferais davantage et plus tôt, conclut-elle. Ça permet non seulement de se créer un réseau de contacts, mais aussi de rencontrer des gens qui ont des champs d’intérêt communs. »
Alexandra Lemarcis est conseillère en recherche scientifique – patrimoine à Hydro-Québec, chargée de cours à l’Université de Montréal et secrétaire au conseil d’administration de l’Association québécoise pour le patrimoine industriel (AQPI).
Rédigé par Hélène Roulot-Gazmann – février 2022.
À la demande du Réseau des diplômés et des donateurs pour la Faculté de l’aménagement de l’Université de Montréal.