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Réalisations - M. Arch. - thème I - Hiver 2023

Thème I - Ville refuge

travaux réalisés dans le cadre de l’atelier ARC6801-I Projet de recherche, hiver 2023

Ville refuge - Les espaces, les sujets et les vécus de la ville refuge

dirigé par les professeures invitées Fannie Duguay-Lefebvre, designer urbain, associée civiliti, et Clotilde Simond, enseignante Université Paris 3, théoricienne de l’art contemporain, architecture et cinéma, en collaboration avec Irena Latek, professeure titulaire, responsable du programme, Alice Covatta, professeure adjointe, co-responsable, et Alain Carle, architecte, Atelier Carle au programme de la Maîtrise en architecture, École d’architecture, Université́ de Montréal, 2023. Les recherches-créations des étudiants du programme Ville refuge faisant objet de la présente publication incluent les cartographies réalisées au Séminaire de recherche « Mapping, les modalités de la ville refuge » sous la direction d’Alice Covatta.

La publication complète est disponible en PDF sur Papyrus : https://doi.org/1866/28424

L’état du monde, l’état d’esprit et l’état de lieu – les explorations Ville refuge 2023
préface par Irena Latek

Ville refuge - hiver 2023 est le second volet des recherches-créations de l’atelier de recherche inscrit dans l’axe thématique de la maîtrise de l’Université de Montréal portant le même titre . Engagée par une équipe d’enseignants-chercheures en 2021, et entreprise pour plusieurs années, cette recherche explore chaque année, avec un nouveau groupe d’étudiants, le champ conceptuel de « la ville refuge » dans une perspective à la fois théorique et pratique. Une plus large description de notre recherche, de son objet, de son cadre et ses méthodes, est donnée dans la publication Ville refuge 2022, Papyrus : hdl.handle.net/1866/27040.

Résumons-la rapidement. Disputant la formule de « la crise des réfugiés », notre recherche-création situe le problème sur le plan de la « ville d’arrivée » et aborde la conception de l’espace qui pourrait matérialiser une telle figure. Sur le fond des problématiques des migrations humaines, de la solidarité globale, de la durabilité des villes et des communautés, nous cherchons les formes d’urbanité significatives d’ouverture vers « l’autre ». Notre démarche théorique s’appuie sur la philosophie, le droit, l’anthropologie urbaine, le cinéma documentaire et l’art contemporain. Parallèlement vient une intense enquête de terrain dans trois quartiers montréalais à forte population d’immigrants : Saint-Michel, Parc-Extension et Côte-des-Neiges. Nous y observons l’état des problèmes mais aussi y scrutons les signes et signaux de connexion, d’inclusion, d’accueil, d’établissement. Les étudiants approfondissent, également, la notion de migration et de passage dans une perspective d’élargissement et de diversification des formes de vivre-ensemble. 

Avant tout, nous proposons aux étudiants de développer une sensibilité à l’environnement en explorant l’esthétique d’inclusion. Marcher la ville, s’immerger en elle devient la méthode. Confronter le corps et tous les sens à l’espace, saisir les états éphémères de l’espace urbain, appréhender l’environnement urbain comme lieu de vie et de présence humaine constituent autant de dimensions de notre approche, comme une totalité qui a un sens et une forme. 

La photographie et la vidéo jouent le rôle de première importance dans notre démarche. Les outils de capture, d’interprétation et d’expression deviennent les moyens de conceptualisation et de conscientisation. Car créer dans une perspective architecturale d’inclusion, c’est construire un espace de représentation mentale en faveur de l’autre. Il s’agit de développer une sensibilité aux personnes mais aussi aux lieux modestes, au « déjà-là ». Il s’agit également de comprendre le système urbain dans son ensemble examiné sous angle des problématiques sociales et environnementales. L’atelier de recherche travaille de concert avec un séminaire de recherche expérimentant les cartographies non conventionnelles, critiques, créatives. C’est uniquement avec l’ensemble de ces capacités que l’on peut installer un terreau à projet sensible, solidaire, responsable. Il s’agit en d’autres termes de pratiquer l’écologie sociale, environnementale et existentielle au plus près des desseins développés par Félix Guattari.

Le principe de construction de la recherche étendue sur plusieurs années académiques et intégrée au programme scolaire, permet chaque année, avec de nouveaux étudiants, d’entreprendre une nouvelle lecture sensible : en procédant étape par étape, nous renouvelons le regard et approfondissons le problème. Chaque année, avec une nouvelle investigation-exploration, l’observatoire s’étend suscitant de nouvelles idées et découvertes – c’est cette somme d’expériences et d’expérimentations qui construira « la ville refuge » ; telle est notre hypothèse. 

Cette année, ont émergé des sujets différents de ceux de l’année première – les sujets élaborés auparavant ont reçu de nouvelles définitions. Les étudiants ont articulé une diversité de postures critiques du statu quo, parfois militante, parfois pleine de compassion voire d’amitié, parfois simplement emplie d’une observation sans jugement. Un rapide tour des travaux démontre que ceux-ci examinent à la fois l’état du monde et l’état d’esprit tout en sondant assidûment l’état des lieux incarné par « le point de chute » - le quartier.

La condition contemporaine est empreinte d’inégalités qui s’opèrent, de manière la plus aigüe, au plan territorial. Les deux mondes se sont constitués ; l’un qu’on cherche à fuir, l’autre qui cherche à repousser (Marc Augé). À l’époque du simultané, nous participons à cette pluralité du réel. JEAN-VICTOR BOMBARDIER reprend cette réflexion et la prolonge par un questionnement sur ce que signifie d’appartenir au monde, sentir qu’on arrive à un chez-soi.

Plusieurs recherches-créations interrogent la frontière. Un concept et lieu physique perçu et vécu de différentes manières, protecteur pour les uns, hostile pour les autres (Étienne Balibar). Le chemin Roxham est devenu au Québec un cas acerbe et l’objet d’inquiétantes hostilités. LAETITIA BÉGIN-HOUDE en parle en termes engagés : un large portrait militant de la migration cherche à « partager le sensible » (Jacques Rancière). Passage pour les uns, interstice habité pour les autres sans établissement possible (Marc Augé et Sylvain George), la frontière, en tant que frange urbaine recèle, à rebours de son sens premier, un potentiel de rencontres et de médiations - un lieu autre, un lieu mêlé (Michel Serres). ISABEL PAINSON-EHLER découvre dans les marges spatiales de multiples formes de vie, des présences et usages inattendus, des disponibilités. L’intérêt de la frontière au sens d’interstice (Pascal Nicolas-Le Strat) est, d’une autre manière, mise en avant par les observations d’AARANYA RAMACHANDRAN et HATIM ASSIKAR. Leurs regards sans jugement dévoilent l’inhospitalité des lieux, nonobstant le fait qu’ils trouvent et articulent dans ce même espace, les moyens de défense des individus et des groupes. Une lecture attentive permet de découvrir une discrète mais abondante vie communautaire suggérant l’habitabilité des lieux marginaux, permettant de penser plus généralement ce type de lieux de manière inclusive. 

Appréhender le point de chute, c’est aussi se glisser dans la peau du migrant – chercher à parcourir le quartier comme un nouvel arrivant pourrait le faire. Scruter les paysages visuels et sonores. Le regard dénonciateur d’ALAIN DORCENT prouve que la pauvreté des quartiers modestes s’articule avant tout sur l’hostilité des paysages et le manque d’espace public de qualité. Mais l’hostilité de ces quartiers, de concert avec celle des êtres humains, a plusieurs visages – dont un nommé « la surveillance ». NATHAN OUELLET questionne le paradoxe de la libre circulation et de la diffusion des frontières virtuelles, scrute les moyens de la société panoptique contemporaine et en conduit une enquête locale.

Des études des quartiers montréalais émerge encore la question de la rencontre difficile entre des mémoires collectives et des imaginaires de deux mondes – PHILIPPE PILAREZYK analyse cette interférence dans un ancien quartier ouvrier - espace-témoin des aspirations modernes de Montréal, devenu aujourd’hui un site de paysages entropiques et également fortement occupé par les nouveaux arrivants. Peut-on voir dans ces lieux le potentiel de ville refuge ? 

Dans un monde laïque, comprendre l’identité de l’autre – c’est également approcher son attachement à la religion. C’est situer cette problématique au-delà de la confrontation des idéaux et des mœurs. C’est la proposition de BENOIT MADORE qui allie la réflexion sur la sacralité de la nature - élément unificateur des communautés, à une considération attentive de l’environnement quotidien du nouvel arrivant ; c’est très exactement de ces milieux - du végétal urbain, de l’artificiel ordinaire et du religieux vernaculaire - qu’émanent de fortes « auras ». 

Une perspective plus séculière sur le même sujet est proposée par CHRISTELLE SALLOUM. Une petite zone industrielle est finement parsemée de lieux de cultes. Cet espace, réversible dans le temps, est rythmé par un intense temps profane entrecoupé d'un temps sacré. Les traumatismes sociaux sont également souvent l’occasion de transgressions d’usage des lieux (Virilio). De telles ambiguïtés pourraient-elles guider le projet d'une manière inédite ?

Chercher à connaître l’autre c’est avant tout s’observer nous-même, dénoncer nos clichés et préjugés. VIRGINIE GRATTON analyse l’espace de représentation mentale du phénomène de la migration construit et nourri par les médias – toujours associé à la notion de crise, regorgeant de motifs économiques et de craintes. Elle confronte le discours de peur de l’autre aux images du drame humain, les associe finalement aux paysages hostiles de la ville néolibérale identifiée localement. Comment envisager l’engagement de l’architecte à partir de cet espace physique et virtuel ?

Aller à la rencontre des migrants, de leur quête de liberté et de vie meilleure, c’est aussi repenser l’instabilité. Considérer les migrants comme des gens en déplacement, sans préjuger d’où ils viennent et où ils vont (Michel Agier). MICHELLE LE pense l’instabilité l’associant à l’architecture et au passage urbain.

Tendre vers une condition d’accueil implique d’observer plus largement la vie urbaine. Tout d’abord capturer la forme de « vivre ensemble », lui donner forme et chair, prendre le pouls. Y mêler son propre corps (Michel Serres). La recherche-création d’ITHIA VINCENT va dans ce sens. Il s’agit de revoir l’hospitalité en la repositionnant dans la rue, l’espace essentiel de la socialisation (Thierry Paquot). Mais l’accueil, c’est également donner la place à la mémoire de l’autre – donner place aux micro-histoires des migrants, les écouter, les voir, les positionner dans les espaces montréalais. Tel est le cheminement d’YOUSRA ALBAYAT, telle est sa ville refuge. Observer la diversité, pratiquer un regard d’amitié sur le quartier, améniser et ménager la ville (Thierry Paquot) : ce type de démarche est entreprise par MAUDE CARPENTIER qui cherche dans la sociabilité quotidienne « les hauts-lieux » du quartier. Ces hauts-lieux (Kaj Noschis) sont les espaces de la ville qui servent de support aux interactions fortuites, accueillant les micro-évènements de la vie quotidienne, lieux qui nous affectent et façonnent notre état d’esprit autrement plus que les importants équipements publics. 

Ces nombreuses explorations autour de la thématique de la migration tentent d’ouvrir la voie vers des changements importants, même si partiels, ponctuels et locaux. Se référant, avec Jacques Derrida, à la ville, plutôt qu'à l'État, ces recherches-créations tentent d’approcher une nouvelle figure de « l’être ensemble ». Celle-ci sous-entend d’appréhender le caractère complexe et universel du phénomène de la migration, relatif à toutes les époques de l’humanité, à toutes les espèces et dû aux changements qui surviennent de manière perpétuelle dans le monde et sur la Terre. La migration correspond à la recomposition du monde. 

 

1. L’atelier de recherche « Ville refuge - Les espaces, les sujets et les vécus de la ville refuge », dirigé par Fannie Duguay-Lefebvre et Clotilde Simond, est donné durant le trimestre d’hiver ; il est accompagné du séminaire de recherche « Mapping, les modalités de la ville refuge » dirigé par Alice Covatta. Durant le trimestre d’automne suivant, la recherche-création se prolonge en projet thèse, encadré par l’atelier « La culture constructive marquée par l’ouverture, l’accueil et le souci de l’autre », dirigé par Irena Latek et Alain Carle.