Passer au contenu

/ École d'architecture

Je donne

Rechercher

Entrevue avec Claudine Déom et Laure Émery


Claudine Déom

Laure Émery

Claudine Déom est professeure à l’École d’architecture et responsable de l’option conservation du patrimoine bâti de la maîtrise en aménagement. Laure Émery est consultante en patrimoine à Édimbourg depuis près de 6 ans et a obtenu sa maîtrise de l’Université de Montréal (UdeM) en 2012.

  • Pourquoi vous êtes-vous intéressées au patrimoine? 

Laure Émery (LE) : Il n’y a pas de moment précis, mais pour autant que je me souvienne, j’ai toujours été intéressée par le patrimoine. Mes parents aiment beaucoup ce qu’on appelle les « vieilles pierres », et le patrimoine bâti en France, il y en a!  

Je m’y suis intéressée professionnellement dans le cadre de mes études en musique, bizarrement. Lors de la 1re année, j’ai suivi des cours d’histoire de l’art et d’architecture, et ç’a été une sorte de révélation.  

J’ai commencé des études d’architecture avec l’idée d’intégrer l’École de Chaillot, la seule et unique en France qui forme en patrimoine, et de faire des études en histoire de l’art en parallèle. Je me suis retrouvée à Montréal pour faire ma maîtrise en aménagement par un merveilleux hasard. 

Claudine Déom (CD) : Comme Laure, je me suis imprégnée jeune des endroits et des histoires que ces endroits racontent. Je n’ai pas eu un coup de génie, mais je me souviens particulièrement d’un cours en histoire de l’architecture à la fin de mon baccalauréat en urbanisme qui m’a beaucoup impressionnée. À partir de ce moment-là, c’était irrémédiablement la voie vers la conservation du patrimoine qui s’offrait à moi.  

  • Laure, pourquoi avoir choisi l’UdeM pour vos études en conservation de patrimoine? 

LE : Je n’étais pas très heureuse avec les débouchés en architecture à Paris. Mes professeurs et professeures m’avaient bien fait comprendre que je n’allais pas faire de conservation du patrimoine en architecture, mais plutôt de la conception de bâtiments modernes.  

Au même moment, mon conjoint, qui est chimiste, a trouvé un stage à l’UdeM et, au bout de 3 mois, on lui a proposé de rester pour faire un doctorat. Comme ce sont plusieurs années additionnelles d’études, je devais le rejoindre ou il rentrait en France.  

Je me suis demandé ce que j’allais faire à Montréal, d’autant plus que ma spécialité, c’était l’architecture médiévale! Par curiosité, j’ai regardé ce qu’il y avait comme programmes, et je suis tombée sur la maîtrise en aménagement, option conservation du patrimoine bâti. C’était exactement la formation dont j’avais toujours rêvé. Ç’a pris très peu de temps pour commencer mes études à l’UdeM, que j’ai absolument adorées. 

CD : Des candidates motivées et intéressées comme Laure, c’est ce que tout responsable de programme recherche. Nous en avons eu notre lot au fil des années, et ça ne fait qu’enrichir la formation, à mon avis.  

Nous accueillons des candidats et candidates avec différents profils. Cette formation n’est pas destinée uniquement aux architectes; nous recevons des urbanistes, des designers, des historiennes et historiens de l’art. Il y a aussi une diversité dans le niveau d’expérience professionnelle des étudiantes et étudiants.  

Le résultat, c’est la présence de perspectives très variées dans les séminaires, à l’instar de la pratique en conservation de patrimoine, par ailleurs. Aujourd’hui, lorsqu’on parle de l’avenir d’un lieu patrimonial, plusieurs expertises sont mises à contribution. Le dénominateur commun ici, c’est le patrimoine, et la maîtrise en aménagement, option conservation du patrimoine bâti permet de bonifier la formation ou l’expérience d’origine de chacune des personnes à la table. 

LE : Je seconde Claudine! C’était une réelle richesse de côtoyer différents profils pendant mes études. Je pense qu’il y avait même une archéologue parmi mes camarades de classe, et certaines personnes avaient plus de 10 ans d’expérience professionnelle. Cette diversité de bagages m’a permis de vraiment me nourrir de l’expérience des autres et de m’ouvrir sur des perspectives d’emploi et de travail après la maîtrise. 

  • La formation ne prépare pas à tout. Laure, y a-t-il des éléments de la pratique professionnelle auxquels vous n’étiez pas préparée? 

LE : Pour ceux et celles qui pratiquent en conservation du patrimoine, que ce soit pour des clientes et clients privés ou pour des organisations publiques, il y a la réalité de terrain, la réalité du patrimoine bâti. Quand on vient de commencer à pratiquer, on veut tout sauver, mais malheureusement, tout n’est pas « sauvable ». Il y a aussi la réalité sociale autour du patrimoine bâti et la réalité financière qui n’est pas négligeable!  

Je prenais moins la mesure de l’aspect financier en tant qu’étudiante. Tous les projets étudiants, aussi réalistes qu’ils puissent être, ne permettent pas de pratiquer pleinement la réalité d’avoir un budget restreint. Cette réalité rend tout de même les choses intéressantes!  

  • Édimbourg est reconnue entre autres pour son château, sa vieille ville médiévale et sa nouvelle ville, dont les districts sont classés patrimoine mondial par l’UNESCO depuis 1995. Quelle est l’approche en ce qui concerne la conservation du patrimoine à Édimbourg

LE : Le fonctionnement général de la conservation du patrimoine en Écosse est assez similaire à celui du Canada et du Québec. Il y a beaucoup d’organismes non gouvernementaux qui ont un rôle assez important. Je suis consultante en patrimoine pour une compagnie privée, et nos clients et clientes ont des besoins variés.  

Ça passe de la restauration de petits bâtiments à des châteaux qui appartiennent à la même famille depuis des siècles. Professionnellement, c’est fascinant. Je travaille sur des bâtiments de toutes les époques. C’est un métier qui n’existe tout simplement pas en France parce que tout est géré uniquement par le gouvernement.  

Malgré ça, tout n’est pas rose. Ce n’est pas parce qu’on est dans une ville riche en patrimoine que tout le monde veut le préserver ou en saisit l’importance. Il y a donc beaucoup de travail à faire sur la prévention, la préservation et l’éducation. 

CD : La conservation du patrimoine n’est jamais acquise, peu importe où nous sommes. La définition de ce qu’on peut appeler « patrimonial » s’est grandement élargie de manière à inclure des lieux du quotidien et non pas exclusivement que des monuments.  

Je pense que le patrimoine ne se limite plus à ce qui est ancien ou beau. Le patrimoine, c’est aussi ce que des parties prenantes ont identifié comme des éléments importants dans leur quotidien. Du moment qu’on réagit de manière favorable à ce nouveau paradigme du patrimoine, nous nous devons de continuellement travailler pour changer les perceptions.  

Nous sommes devant des dilemmes qui sont liés au développement économique et à la confrontation des valeurs pour l’avenir d’un lieu; des enjeux qui ne sont pas nécessairement en lien avec le patrimoine, par exemple la densification, mais qui le concernent néanmoins.  

Édimbourg a un cadre bâti exceptionnel avec une topographie absolument fascinante qui rappelle le Vieux-Québec, et je crois qu’un des enjeux des villes comme celles-là qui sont inscrites sur la Liste du patrimoine mondial de l’UNESCO est de trouver l’équilibre entre le développement économique, notamment par le tourisme, et la conservation du patrimoine.  

Comment trouver l’équilibre entre la capacité et la volonté de recevoir des gens qui visitent et de retenir des habitants et habitantes dans les secteurs de la nouvelle ville sans sacrifier l’authenticité des milieux de vie?  

J’ajouterai aussi qu’on a organisé des voyages d’études à Édimbourg dans le passé parce qu’il y a là beaucoup d’initiatives du gouvernement écossais à l’égard de la conservation du patrimoine, des changements climatiques et de la question du bien-être lié au cadre bâti; c’est très stimulant pour nous. 

LE : Et quelque part, c’est une bonne chose que le patrimoine ne soit pas acquis. De mon expérience d’une personne qui vient d’un endroit où tout est tenu pour acquis, on a tendance à faire les mêmes choses de siècle en siècle.  

Quand je suis arrivée au Québec, où les questions de conservation du patrimoine sont plus récentes, j’ai pris conscience que le patrimoine, ce n’est pas uniquement l’histoire brute et le fait que ce soit vieux, comme le disait Claudine, c’est aussi la signification qu’un bâtiment peut avoir pour certaines personnes.  

En Europe, nous nous sommes posé ces questions au 19e siècle. De faire la maîtrise à Montréal a donc été très formateur pour moi pour repenser le patrimoine et la manière dont on aborde cette question en France.  

CD : En effet, où on étudie la conservation peut avoir une incidence sur la manière dont on envisage le patrimoine dans notre carrière. 

  • Quel est l’avenir de la conservation du patrimoine? 

CD : En ce moment, la question de la conservation du patrimoine est en pleine transformation, grâce au discours sur le développement durable qui reconnaît progressivement le rôle que peut jouer la conservation du bâtiment existant dans l’atteinte des objectifs.  

Je pense que l’Amérique du Nord a un cadre bâti plus jeune, comme le remarque à juste titre Laure, et nous avons aussi des collectivités très diversifiées. Le Canada est un pays qui s’est aussi bâti grâce à l’immigration, et c’est une richesse qui apporte des perspectives différentes sur l’histoire et sur ce qu’on reconnaît comme étant patrimonial.  

Avec l’appel à la vérité et à la réconciliation dans nos relations avec les Premiers Peuples, l’enjeu de la conservation du patrimoine interpelle beaucoup de gens. La question du rapport à la nature et au territoire qu’ont par exemple les peuples autochtones et inuits influence grandement la conversation et pas juste en Amérique du Nord.  

Ce discours joue grandement sur la manière dont j’enseigne et dont je présente certains enjeux. La voie de l’avenir, c’est de ne plus travailler en silo, mais en interdisciplinarité.